La Haute Route à skis : Chamonix - Zermatt, avril 2002

 

La Haute Route, cette traversée mythique sur les glaciers ralliant les 2 capitales de l’alpinisme que sont Chamonix et Zermatt… Quel meilleur moyen de locomotion que le ski pour effectuer cette traversée ?! L’itinéraire décrit correspond à la traversée classique de Chamonix à Zermatt par l’itinéraire du plateau du Couloir. Il est un peu plus alpin que celui passant par Verbier (préférable par conditions incertaines), mais plus sauvage et authentique. La dernière étape des Vignettes à Zermatt est quant à elle de toute beauté, et couronne ce raid ! Beaucoup de gens d’ailleurs ne font que cette étape là : montée aux Vignettes depuis Arolla, puis Vignettes > Zermatt. La météo étant de plus en plus capricieuse, difficile de donner une période optimale : il faut choisir un bon compromis entre tôt en saison (moins de portage, neige plus souvent légère, risques d’avalanches plus importants et incertains, glaciers moins bien bouchés) et tard en saison (plus de portage, mais conditions de printemps plus sûres en général). Nous avons réalisé cette traversée fin avril 2002 (saison relativement pauvre en neige), avec une arrivée skis aux pieds à Champex, un long portage pour monter à Valsorey, et une arrivée skis aux pieds à Furi. Enfin, il peut être avantageux de partir en décalé (en milieu de semaine) ce qui évite une bonne partie de la foule.

 

 

Logistique :

1-     Cartes :

·        IGN 3630 OT      Chamonix

·        CNS 1345            Orsières

·        CNS 1346            Chanrion

·        CNS 1347            Matterhorn

·        CNS 1366            Mont Vélan     

La carte 1345 est facultative (début de la montée sur Valsorey, souvent déneigé et bien indiqué).

Seul le haut de la 1366 est utile (glacier du Mont Durand), prévoir un petit collage avant de partir, histoire d’être plus léger.

 

2-     Refuges : 

Les cabanes suisses sont toutes gardées pendant la saison de ski de rando : il est donc préférable de prendre la demi-pension dans chacun d’eux, histoire d’avoir des sacs portables. Réservation indispensable à l’avance. Seule la cabane de Chanrion (la plus basse) dispose d’eau courante, c’est l’occasion de faire un brin de toilette !

 

3-      Transport

Se rendre à Chamonix en voiture ou en train. Le départ a lieu à Argentière sur le parking des Grands-Montets où l’on peut laisser sa voiture.

Prévoir d’être assez tôt le matin pour prendre la première benne.

Pour le retour depuis Zermatt, il faut attraper le train de 15h10 à Zermatt si on veut rentrer sur Chamonix le jour-même. Au-delà, on ne peut que rallier Martigny, et finir soit en taxi, soit attendre le lendemain.

 

Itinéraire :

 

1-     Jour 1 : 17 avril 2002 : Argentière => cabane de Trient                     D+ = 1050 m ; D- = 1100 m ; T = 7 h ; profil

 

Départ d'Argentière par le téléphérique des Grands-Montets. Grand beau temps, pas trop froid, ça commence bien! Descente du glacier des Rognons sans tirer trop à droite car c'est assez ouvert, quelques passages entre séracs, quelques passages où la glace affleure, puis schuss sur le glacier d'Argentière. Les faces Nord sont en glace, triste année. On met les peaux et on entame la remontée du glacier du Chardonnet, en bonne partie encore à l'ombre, ce qui finalement n'est pas si mal. La  pente se calme sur la fin, et on arrive sous le soleil au col du Chardonnet, en croisant quelques personnes en sens inverse. Le versant Est a déjà chauffé, et outre la tranchée des gens descendus en dérapage assurés d'en haut, on peut skier sans problème la rive gauche (environ 45° sur 50 m) pour rejoindre la tranchée plus bas. Je mouline Laurence sur 30 m, puis je la rejoins. Descente courte, puis traversée à ras de la Grande Fourche, jusqu'au pied de la fenêtre de Saleina. Pause pique-nique avec la mer de nuages qui remonte doucement pour nous rejoindre. On lève l'ancre et on avale les 250 m nous séparant de la fenêtre, plus raide sur la fin. La neige est déjà bien ramollie, et on peut remonter intégralement à skis. L'arrivée à la fenêtre est superbe, face à l'aiguille du Tour, et au vaste plateau du Trient. Quelques hélicoptères gâchent un peu le tableau, mais bon on est en Suisse... On redescend vers la cabane de Trient, invisible à cause d'une mer de nuages persistante. On croit un moment pouvoir rejoindre la cabane sans remontée... mais on a tout faux: on finit par apercevoir la cabane sur son perchoir, et on remet donc les peaux pour une courte remontée. Nous sommes les premiers à la cabane, rejoints peu après par plusieurs groupes, dont 2 télémarkeurs de Seattle, croisés à l'OHM mardi, et dans la benne le matin même. Soirée paisible avec environ 20 personnes au refuge. Pour le lendemain, on ne veut pas partir de nuit, mais quand même attraper le bus de 8h25 à Champex: le réveil est donc mis à 5h15.

 

 

2-     Jour 2 : 18 avril 2002 : cabane de Trient => cabane de Valsorey      D+ = 1350 m ; D- = 1600 m ; T = 11 h 30 ; profil

 

Le ciel est tout étoilé, on décolle vers 6h15 dans le grand froid de la cabane, en direction du col des Écandies. On longe le glacier de Trient en rive droite, mais la glace apparaît dans une section plus raide entre les crevasses sur la gauche, et les rochers sur la droite. Ca passe à peu près à skis, mais je remonte en crampons pour assurer la descente de Laurence, également en crampons. La suite est plus tranquille, mais tout aussi spectaculaire le long de beaux séracs. On arrive finalement en vue du col des Écandies, qu'on gagne par une courte remontée à pieds de 20 m. On trouve alors le soleil et le val d'Arpette complètement tracé, la faute à ces foutus héliskieurs...  Ainsi la section du haut reste assez bonne car pas trop regelée, mais ça devient très vite ignoble de skier dans ces pentes intégralement tracées et regelées. Le bus est raté, on finit donc tranquillement la descente, et on arrive à Champex skis aux pieds moyennant 2 courts déchaussages, excellent ! Petite marche pour gagner le village et la poste : le bus suivant est à 11h, les taxis sont chers et viennent de Verbier... on va donc attendre le bus. Farniente au soleil de Champex, visite  obligatoire des toilettes publiques 4 étoiles, et nous sommes rejoints par les 2 télémarkeurs qui prennent le même bus jusqu'à Orsières, mais filent ensuite sur Verbier, nous sur Bourg-Saint-Pierre. Petit sprint à Orsières pour trouver la banque, puis on prend le bus : on se fait déposer à la sortie de Bourg-Saint-Pierre au départ du chemin qui monte à la cabane (malheureusement interdit aux bus). Et là, la bavante du siècle : un portage monstre (tout est sur le sac...), souvent à plat, heureusement  avec un peu de vent. On finit par chausser bien plus tard vers 2150 m, les épaules en miettes. Encore du plat, puis cést le défilé rocheux du torrent (canyon) bientôt impraticable au vu de l'épaisseur de certains ponts de neige, puis re-plat. On franchit une moraine, re-re-plat, et enfin on aprçoit le refuge sur son perchoir... 600 m plus haut. On remonte une large pente bien tracée (mais raide), et le temps se couvre de plus en plus : on est à bout et il se met à neiger ! On finit par arriver à la cabane vidés vers 18h, 6 heures après avoir entamé la montée. Repas à 18h30, pas le temps de souffler. Heureusement, le beau doit revenir le lendemain, et l'étape étant plus courte, on retarde le réveil à 6h30.

 

 

3-     Jour 3 : 19 avril 2002 : cabane de Valsorey => cabane de Chanrion             D+ = 950 m ; D- = 1500 m ; T = 7 h 30 ; profil   

 

Comme prévu, le beau temps est de retour, et la vue sur le Vélan et le massif du mont Blanc est effectivement imprenable. Lever peinard après tout le monde (le gardien commençait à s'inquiéter), et petit déjeuner tout aussi peinard. Les 2 autres fraçais de la veille au soir partent pour la traversée Sud-Nord du Grand Combin. On part à skis du refuge, en direction du plateau du Couloir bien visible, avec tous nos prédécesseurs engagés dans la remontée dudit couloir. Profitant d'une vieille coulée, on s'équipe pour la remontée du couloir : skis sur le sac et crampons aux pieds, piolet à la main, et encordement court. Suit une longue traversée à flanc pour gagner la base du couloir, que l'on remonte dans les traces des précédents. Un bon 40-45° avec une sortie (2 pas) en glace, bien alpin ! Et on débouche sur le bien nommé plateau du Couloir, au soleil, seuls : les 2 français sont presque au sommet du Combin, les autres déjà au Sonadon. On enlève les peaux et les crampons pour une courte descente sous le col du Sonadon : il faut alors repeauter, et on en profite d'être à l'abri pour manger un bout. Courte mais dure remontée sous le cagnard au col, puis c'est la grande descente du glacier du Mont Durand, en rive droite pour éviter les crevasses et barrière de séracs. Quelques zones en neige froide, un vrai régal, puis on remet les peaux pour rejoindre le point 2736 m, qui nous permet de sortir du glacier. Les nuages ne sont pas encore trop nombreux, et on en profite pour buller et manger. Le refuge de Chanrion est bien visible en face, mais il nous faut redescendre en fond de vallon avant d'y remonter ! Descente donc en transformée, en tirant bien sur la droite pour minimiser le dénivelé à remonter. On remet une dernière fois les peaux pour une courte remontée de 230 m, qui débute dans une petite gorge, sur un torrent, avec des ponts friables... Et pour ne pas changer les bonnes habitudes, on arrive au refuge sous la neige, suffisamment tôt pour pouvoir prendre le temps de se poser, en regardant tomber la neige comme des gamins. Comme toujours dans ce pays, le retour du beau est prévu pour demain matin, ça nous arrange bien. Et puis coup de chapeau à Météo Suisse, qui enfonce Météo France en ce qui concerne l'indice de confiance : ils notent ça sur 10, respect... Le refuge n'est que très peu rempli, et les 4 groupes présents sont a priori tous partants pour la voie du glacier du Brénay, moins enneigée (comme partout) que les autres années, mais qui passe sans problème.

 

 

4-     Jour 4 : 20 avril 2002 : cabane de Chanrion => cabane des Vignettes                      D+ = 950 m ; D- = 250 m ; T = 6h30 ; profil

 

La traversée sur les Vignettes par le Pigne d'Arolla était initialement prévue, mais le temps est toujours bouché ce matin, avec chute de neige continue, et fort vent de Nord. Les autres groupes sont quand même partis pour le Brénay, mais on préfère retarder un peu le départ, et Laurence retourne se reposer. Le temps n'étant pas à l'amélioration, nous levons quand même le camp vers 9h, mais pour l'alternative du long glacier d'Otemma, beaucoup moins technique que celui du Brenay. On redescend donc jusqu'au torrent (ce qu'on a remonté la veille !) pour remettre les peaux, toujours sous le vent et la neige. On s'engage dans la petite gorge du torrent d'Otemma, puis on surmonte une petite retenue pour prendre pied dans la vaste combe d'Otemma. Quelques trouées de soleil permettent parfois de deviner des bouts de paysage, et on espère encore (naïvement) que ça va se lever. À partir de 2500 m, on prend pied sur le glacier, et on s'encorde à une dizaine de mètres. Le glacier est désespérément plat, mais bien bouché. On chemine donc grosso-modo au centre, les rives étant à peu près visibles. Pas grand chose à dire si ce n'est que c'est long, et que les trouées de soleil se font de plus en plus rares. À partir de 2900 m, ça commence à devenir préoccupant : le vent se fait plus sensible, et la visibilité baisse (une petit vingtaine de mètres). Je sors la boussole, et navigue au mieux avec l'altimètre et la carte. Je passe à droite du vaste col de Charmotane (alors que je pensais être à gauche), et lorsque l'altimètre redescend à 3030 m, il faut réagir. On revient donc NW pour passer maintenant au Nord du col, et enfin trouver des pentes plus relevées, comme on l'attendait d'après la carte. Vers 3115 m à l'altimètre, on prend Nord pour viser l'étroiture menant au plateau 3162 m face au refuge, et une toute petite accalmie (quelques secondes) nous permet de deviner le refuge au loin, ainsi que les câbles qui le soutiennent. Pfou, on se relâche, et la perspective du trou à neige s'éloigne ! Mais la visibilité retombe bien vite à quelques mètres, et une fois atteint le col des Vignettes, on s'engage vers le refuge par l'accès d'été, i.e. en suivant une petite crête mixte et expo, où crampons et assurance sont de rigueur, avec toujours un vent violent. La crête semble être interminable quand, après un passage avec de la neige accumulée jusqu'à mi-cuisse, le refuge nous apparaît juste devant : ça y est, on peut enfin se relâcher... on apprendra alors que l'accès d'hiver qui consistait à dépasser le col des Vignettes pour remonter au refuge par derrière est beaucoup plus cool, et se fait skis aux pieds ! Le refuge est bondé, ça fait une impression assez étrange : il y a 5 minutes, on était 2 dans la tourmente, et là 150 personnes au chaud ! Si contents d'être là, on se déséquipe avec lenteur, et on rentre au chaud avec le peuple. On retrouve un groupe parti de Chanrion le matin par le Pigne d'Arolla (mené par maître Vitalis), ainsi qu'un groupe d'anglais mené par un guide français, qui étaient avec nous à Trient, mais qui entre temps sont passés par Verbier et les Dix. On baffre enfin (pendant la journée, seulement des barres vu le temps), et le repas arrive tout de suite derrière ! On est attablés avec 7 suisses et 1 autrichien (qui fait la Haute Route tout seul !), avec en dessert la pomme des Vignettes. Faire la queue pour payer, puis au lit car demain lever à 4h50. Le dortoir est plein, avec une dizaine de mioches un peu agités, et grosse chaleur car la fenêtre est restée fermée...

 

 

5-     Jour 5 : 21 avril 2002 : cabane des Vignettes => Zermatt                  D+ = 1200 m ; D- = 2750 m ; T = 8 h 10 ; profil

 

Réveil à 4h50 comme prévu, aujourd'hui il ne faut pas traîner car on a un train à prendre. Petit déjeuner à 5h, on se prépare, et le ciel est tout étoilé, génial ! On quitte le refuge peu après 6h. Les skis sur l'épaule, on remonte au col des Vignettes, par le chemin d'hiver cette fois... tout en observant notre arête de la veille. Descente paisible (aujourd'hui on y voit !) jusqu'au col de Charmotane où on met les peaux. Laurence a un souci avec une peau qui se décolle illico, elle prend alors une des peaux de rechange pendant que je me bats pour changer la pelloche de l'appareil photo. Pendant ce temps, les premiers tracent dans la peuf tombée hier, c'est plus relax pour nous. Un peu avant le col, la seconde peau de Laurence se décolle, on utilise alors la deuxième peau de secours ! On arrive finalement au premier col de la journée avec le soleil, on distingue le grand Combin et le mont Blanc à l'arrière, le col de Valpelline loin devant. Descente en poudre quasi-vierge sur le haut, rââââhh ! Ensuite un peu de carton au niveau de quelques séracs, puis de nouveau de la poudre avant d'arriver sous la Vierge et de remettre les peaux. Le col du Mont Brûlé (deuxième de la journée) est bien visible est déjà tracé depuis le refuge des Bouquetins en face, sur l'autre rive du glacier. Vitalis est toujours à la trace, et rejoint celle issue des Bouquetins au pied du col. Bonne trace à pieds, je tente 3-4 conversions à skis, mais je fais souvent partir de

mini-plaques... je finis donc à pieds dans les marches. On retrouve le soleil au col : en face Tête Blanche, col et Tête de Valpelline, dent d'Hérens, et derrière le Mont Brûlé avec 2 personnes engagées dans la face Nord. Redescente en traversée sous les Bouquetins pour la dernière (et longue) remontée au col de Valpelline. Durant la montée, ça se couvre pas mal, et on repasse de T-shirt/bob à polaire-gore Tex/bonnet ! Superbe arrivée au col de Valpelline (troisième et dernier) face au Cervin à peine accroché, par contre l'Italie et les Combins sont sous les nuages. Il est midi, le timing prévu est pour l'instant respecté, et après une courte pause on entame la dernière descente dans une poudre de rêve, croisant des skieurs montant (à midi, ils sont fous ces suisses !) à Tête Blanche et s'entraînant vraisemblablement pour la Patrouille des Glaciers ayant lieu dès le week-end. Le temps revient plutôt au beau, et la descente se fait en suivant les piquets de la PDG (et la trace) car les glaciers sont ici plutôt tortueux... Petit passage en neige merdique vers 3000 m à la jonction entre les glaciers de Stöckji et de Tiefmatten. On trouve ensuite de la bonne transfo, c'est du ski plaisir sous le regard du monstre Cervin. Un peu en-dessous de 2700 m, on traverse en rive droite pour rejoindre le glacier de Zmutt, sans s'attarder, car on se trouve sous les séracs du glacier du Cervin. On skie jusqu'à l'usine 2179 m, et une courte remontée à pieds (10 minutes) nous ramène à Stafel Alp où une piste nous ramène à Furi. L'enneigement est ensuite discontinu jusqu'à Zermatt, on redescend donc en benne depuis Furi. Photo-souvenir en bas face au Cervin, la mine réjouie. On traverse ensuite la ville skis sur le sac sans stress : on est largement dans les temps pour le train qu'on

prend à 15h10 comme prévu. Changement à Visp (5 minutes), puis à Martigny (10 minutes), et enfin au Châtelard (frontière, 5 minutes). On arrive finalement à la voiture sur le parking des Grands-Montets vers 19h. La boucle est bouclée, c'est génial. Maintenant, du repos... et une bonne douche !